Comprendre les algorithmes, apprendre le codage : les points de vue convergents d’Aurélie Jean et Dominique Cardon

Dans leurs interventions respectives, Aurélie JEAN, scientifique numéricienne, et Dominique CARDON, sociologue, ont des discours qui se rejoignent sur la nécessaire compréhension des algorithmes par tous et du rôle de l’apprentissage du codage. Il ne s’agit pas de former des petits génies, nous disent-ils, mais d’aider à comprendre les enjeux du monde numérique dans lequel les algorithmes sont si présents.

Définition et origine du mot

Les premiers algorithmes, qui se définissent comme un enchaînement d’instructions qui permet d’arriver à un résultat, se trouvent déjà sur des tablettes en argile datant d’il y a 4000 ans ! Mais l’origine du mot, elle, remonte à l’an 800, dans l’empire perse. C’est ce que nous explique un module vidéo de Class’Code ¹: Qui a inventé les premiers algorithmes ? (l’histoire Al-Khwârizmî),

crédit : Class’Code

Cette vidéo nous en apprend davantage encore : le mot algorithme est tiré du nom d’un savant arabe, Al-Khwârizmî, qui avait rédigé à la demande du roi de Perse, un ouvrage dans lequel il donnait des méthodes rigoureuses pour résoudre des problèmes par un enchainement d’instructions, afin de faciliter la vie de ses concitoyens.

Pourquoi les algorithmes et le codage en éducation ?

Pour comprendre ce qui se joue, en discuter, enseigner, exercer son esprit critique, se réunir et débattre des principes

Dominique Cardon (Numérique en éducation)¹ précise que ces suites d’instructions, « produisent un calcul sur des données […]. Il est donc nécessaire dans le calcul de savoir quel est le principe qu’on a mis en forme pour représenter, trier, organiser les données d’une manière ou d’une autre ». Il ajoute : « Nous sommes de plus en plus calculés, les algorithmes sont de plus en plus présents simplement parce que nous laissons de plus en plus de traces numériques et qu’il faut les organiser. Mais ce sont ceux qui les ont programmés qui leur ont prêté une forme, un principe, une orientation particulière » (La leçon de clôture de Dominique Cardon). Il explique qu’il y a plusieurs manières de calculer les internautes, selon la popularité, l’autorité, l’influence, et la prédiction. « Il faut impérativement, affirme-t-il, que l’on discute de ces principes car ce n’est pas la même façon de se représenter le monde et l’information numérique », d’où la nécessité d’organiser des débats civiques, éducatifs et même politiques. « Il faut bien comprendre, ajoute-t-il, ce qu’il est possible de faire, s’interdire certaines choses […] , dire qu’on veut participer à la co-conception et à l’usage […] pour tirer le meilleur de ces techniques.
 » Il y a un enjeu très important sur l’informatique concernant les algorithmes, dit-il encore, mais dans l’enseignement parfois on se méprend, pensant qu’il faut faire des choses compliquées alors qu’il faut faire faire de la manipulation, du code et transmettre des notions. De plus, s’il y a beaucoup d’autodidactes aujourd’hui par les tutos que l’on trouve en profusion, « ceux qui s’en sortent sont toujours les mêmes, ce sont les plus débrouillards » d’où la nécessité d’enseigner ces notions à l’école. Apprendre le code, discuter de la manière dont on va faire un algorithme, c’est très formateur et éducatif.

Dans une interview accordée au Clémi, (8 novembre 2019), le sociologue ajoute que le numérique est une culture et il confirme la nécessité d’enseigner la culture numérique parce que « le numérique est une spécificité dans notre société et il faut le comprendre« , ce qui signifie pour lui « coder, décoder et explorer« , et passe par la transdisciplinarité. « Il faut agréger des types d’enseignement extrêmement différents : enseignements de l’EMI, technologie, informatique où l’on fait du code, et ce qu’on appelle les humanités numériques qui essaient d’avoir cet esprit critique à l’égard des transformations de nos sociétés numériques« .

Pour comprendre le fonctionnement, choisir ses outils, apprendre ensemble, être égaux dans les compétences et les usages, sans discrimination

Discuter des principes qui prévalent à l’utilisation des algorithmes, c’est aussi ce dont parle Aurélie Jean quand elle dit que face à l’utilisation des algorithmes dans une société il faut faire des choix (Aurélie Jean bouscule les codes)². Et pour réussir à choisir ajoute-t-elle, il y a des choses à comprendre : comprendre ce qu’est une donnée, un algorithme, ce qui se passe quand on utilise un outil numérique (E-mail, application, assistant virtuel, une montre connectée…) mais aussi comment on les utilise. Elle nous apprend par exemple qu’il y a 2 types d’algorithmes : « ceux dont les critères sont définis par l’homme, et les algorithmes qui apprennent, c’est à dire qui ne sont pas définis explicitement par nous, humains, et qui vont apprendre sur des données » (ils vont voir ce qui s’est produit dans le passé pour avoir une idée de ce qui peut se passer dans le futur, avec le risque de reproduction de biais passés).

Pour pouvoir faire des choix éclairés concernant nos outils et, par extension, les algorithmes qui vont être utilisés, nul besoin d’être tous scientifiques, mathématiciens ou informaticiens. Aurélie Jean dit qu’elle croit beaucoup « à l’apprentissage du code, comme vecteur de compréhension et de maîtrise de la transformation digitale » de la société et de l’économie (Cloud Days 2018 : Aurélie Jean), pas pour faire de tous les gens des développeurs mais parce que le code est le langage le plus proche pour communiquer avec un ordinateur, une machine. Connaître les codes et parler le même langage, comprendre la data pour pouvoir exercer son sens critique, c’est aussi être un acteur actif et pas simplement un utilisateur passif. Aurélie Jean nous explique qu’elle forme des adultes tandis que son amie Amélia Matar s’adresse aux enfants, toutes les deux visant ce même but (Ni trop tôt ni trop tard : le code n’a pas d’âge !). Elles rappellent la fracture numérique, une fracture d’usage et de compétences, qui exclurait 40 millions de personnes. C’est pourquoi il s’agit par la formation d’enrayer au plus tôt ces mécanismes inégalitaires, « que les gens se réunissent sur les usages parce qu’il faut que tout le monde puisse bénéficier des retombées des technologies, sur les compétences pour que les gens puissent se transformer intelligemment dans cet écosystème, et pour des raisons techniques, sociétales et technologiques parce que si on écarte une partie de la population, ne serait-ce que dans la conception de ces technologies, on va créer de la discrimination technologique par l’introduction de biais dans la data, les algorithmes, dans les critères explicites et ceux implicites intégrés par le Machine learning ». En outre, « pour la première fois hommes et femmes, en tout cas dans notre pays, vont pouvoir construire à compétences égales la société de demain ». Des gens de différents milieux et différents niveaux apprennent le codage dans de nouvelles écoles. Enfin, les adultes, tout comme les enfants dès leur plus jeune âge, sont capables de manipuler l’informatique même sans écran, parce que l’informatique repose sur des concepts logiques indépendants de l’écran et c’est un moyen de reprendre la main sur notre monde.

Ni trop tôt ni trop tard : le code n’a pas d’âge !, A. Jean et A. Matar

Tout le monde devrait apprendre à programmer un ordinateur parce que cela nous apprend comment penser. Steve Jobs


¹ Class’Code est un programme de formation innovant, en blended learning, porté par l’INRIA, avec de très nombreux partenaires de l’éducation aux numérique. Leur but est de former les professionnels de l’éducation et de l’animation pour leur donner les moyens d’initier les filles et les garçons de 8 à 14 ans à la pensée informatique.

² Sources : Numérique en éducation – entretien avec Dominique Cardon, La Ligue de l’Enseignement, 16 nov 2016/ La leçon de clôture de Dominique Cardon – Forum numérique France Culture-Sciences Po, 25 oct 2015 / Interview de Dominique Cardon pour le CLEMI, 8 nov 2019

³Sources : Aurélie Jean bouscule les codes, TV5Monde, 21 nov 2019 / Cloud Days 2018 : Aurélie Jean, Outscale, 24 sept 2018 / Ni trop tôt ni trop tard : le code n’a pas d’âge !, A. Jean et A. Matar, We2day, 5 juill 2018.


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